15.09.2022
Rencontre avec Emmanuelle Haack, responsable ESG et conformité d’Alken AM.
Après l'été le plus chaud jamais enregistré en Europe et alors, qu'en France, la refonte du label ISR a plongé les acteurs de la finance durable dans une introspection dont on ignore encore quelle sera l’issue, certains investisseurs s'interrogent sur le bien-fondé d'un placement dans un produit ESG (Environnement, Social et Gouvernance). Rencontre avec Emmanuelle Haack, responsable ESG et conformité d’Alken AM.
Pourriez-vous nous rappeler en quelques mots ce qu’il est important de savoir et surtout de comprendre sur ce qui concerne l'investissement ESG ?
Le développement accéléré de la finance durable ces dernières années a fait naître une certaine confusion dans l’esprit des investisseurs. Ceux-ci confondent en effet l’investissement à impact et l’investissement ESG (environnement, social et gouvernance). Or, si le premier a pour but d’aller chercher des entreprises transformatrices pour la société, le second consiste plutôt à continuer d’investir dans des sociétés qui existent depuis fort longtemps pour les inciter à se transformer. Dans un cas, on parle d’un véritable pari financier. Dans l’autre, il est davantage question d’identifier les enjeux ESG pour chaque secteur d’activité et chacune des sociétés dans lesquelles nous investissons. On choisit un fonds ESG avant tout pour inciter les entreprises à aller dans le bon sens.
De quelle façon votre démarche ESG s’inscrit-elle dans le processus d’investissement d’Alken AM ?
Nous intégrons les critères ESG dans l'ensemble du processus d'investissement en filtrant 100 % du portefeuille investi selon une stratégie et/ou des normes ESG reconnues par le label LuxFLAG (trois fonds de la société ont été labellisés ces deux dernières années). Être un gérant multi-stratégie implique en effet de prendre des décisions prospectives avec le plus haut niveau d’information disponible.
Comment procédez-vous concrètement ?
Nous appliquons tout d’abord une liste d’exclusion qui, en fonction des stratégies, permet de mettre de côté les armes controversées, les producteurs de charbon, de gaz de schiste et de tabac ainsi que certaines activités d’exploration gazière et pétrolière (à partir d’un certain niveau dans les revenus de la société).
Au sein de nos portefeuilles, les sociétés sont ensuite classées des meilleures aux moins bonnes en fonction de leurs qualités ESG. Le but est d’identifier celles qui comportent le degré de risque ESG le plus élevé et de voir ce que l’on peut faire sur ces entreprises. Est-il possible de les aider ou est-ce que leur degré de risque est trop important pour les conserver en portefeuille ?
L’analyse ESG permet donc aussi d’évaluer le risque d’un portefeuille ?
Toutes nos stratégies impliquent en effet un niveau de risque financier et non financier. Notre équipe d'investissement et notre comité ESG travaillent ensemble pour s'assurer que des processus efficaces sont en place afin d'anticiper, de surveiller, de filtrer, de traiter et d'évaluer ces différents risques ESG potentiels. Notre philosophie consiste en effet à utiliser l’ESG pour réduire le risque d’un portefeuille.
Quelles sont les questions auxquelles vous attachez une importance particulière dans votre processus d’analyse ?
Nous portons une attention particulière aux entreprises qui auraient un trop mauvais score en matière de gouvernance, à celles dont le nom serait associé à un grand nombre de controverses (événements, scandales liés à l’entreprise) ainsi qu’au sujet des violations potentielles des droits humains au travers du filtre des principes du Global Compact des Nations Unies. Tous ces points vont constituer autant d’alertes permettant de prioriser nos analyses et éventuellement d’engager rapidement un dialogue avec ces sociétés. Au bout du compte, il s’agit tout de même de décider s’il faut conserver, réduire ou vendre la position.
Est-il possible de dire que des entreprises sont plus ESG « compatibles » que d’autres ?
Nous observons une grande différence dans nos analyses entre les sociétés soumises à la réglementation européenne notamment en matière de rapport ESG et les autres. Mais il faut se méfier des apparences et notre travail est justement d'identifier parmi les sociétés d’apparence transparente celles qui le sont effectivement, tout en vérifiant parmi celles qui ne sont pas encore sujettes à l’obligation de transparence s’il ne se trouve pas des bons élèves qu’il serait dommage de pénaliser sans avoir même pris le temps de les étudier.
Ainsi une entreprise faisant partie d’un secteur comme la défense ou se trouvant en Asie peut en effet montrer des points ESG très forts tandis qu’une entreprise basée au sein de l’Union Européenne et s’inscrivant dans un secteur plutôt noble comme la pharmacie ou l’aide à la personne peuvent au contraire montrer un nombre élevé de risques et faiblesses en matière d’E, S ou G.
La règle au fond, c’est qu’il n’y a pas de règles.
Peut-on considérer que certains secteurs d’activité sont de plus mauvais élèves en matière ESG que d’autres ?
Si chaque secteur a en effet ses particularités, il faut néanmoins se garder de tomber dans la caricature car cela peut conduire à avoir des biais d’investissement. Voilà pourquoi, dans notre grille d’analyse nous accordons autant d’importance à chacun des piliers que sont l’Environnement, le Social et la Gouvernance. Notre expérience nous a en effet appris que dès que l’on se met à chercher, on trouve toujours des choses à améliorer pour une société. Cela est d’ailleurs d’autant plus vrai dès lors que l’on prend en compte le fameux scope 3, ce niveau d’analyse qui correspond aux émissions indirectes de la fabrication d’un bien comme l’extraction de matières premières, le transport des salariés ou encore des clients. Une société avec a priori peu de risque environnemental lié aux émissions carbones (scope 1 et 2) peut très vite se retrouver au cœur du problème du changement climatique si l’on regarde ses émissions de type scope 3. Les secteurs sont globalement tous interconnectés, donc les problèmes E, S et G de l’un seront vite les problèmes de l’autre.
De quelle façon s’organise votre dialogue avec les sociétés ?
En fonction de l’importance des questions liées aux problématiques ESG que nous avons recensées, nous contactons les entreprises par email ou nous organisons une conférence téléphonique. Ce contact est primordial car il permet tout d’abord de corriger les erreurs qui peuvent se glisser dans les rapports ESG publiés par les agences spécialisées. Ensuite, rien ne remplace le contact direct avec les représentants d’une société pour comprendre sa culture et se faire expliquer dans le détail les éventuels problèmes liés à la transition écologique. Je constate que ces entreprises sont volontaires pour participer à ces appels et que certaines d’entre elles sont peu, voire pas sollicitées par les investisseurs. Un comble quand on sait que l’engagement des investisseurs est à la fois nécessaire pour sensibiliser les sociétés aux questions ESG et pour encourager les changements positifs.
La guerre en Ukraine a remis au premier plan des préoccupations de certains la question des sociétés spécialisées dans la défense. Celles-ci méritent-elles de faire l’objet d’une analyse ESG ou non ?
Le financement de l’industrie de la défense peut apparaître comme un dossier épineux car il relève de sujets comme la sécurité nationale et la souveraineté d’un pays. Autant de questions politiques dans laquelle la finance n’a pas à s’immiscer. A moins de proposer à ses clients de faire de l’investissement éthique qui justement exclut cet univers. Une société de gestion n’a pas à porter un jugement moral sur cette question à mon sens.
Si on analyse les entreprises du secteur de la défense sous l’angle ESG, plusieurs choses peuvent être dites. Tout d’abord, ces sociétés ne font pas que des armes puisque certaines sont aussi présentes dans l’aviation ou le transport.
Ensuite, des efforts ont été faits dans nombre de pays exportateurs et d’entreprises en interne en matière de contrôle des exportations d’armes via un système de demandes d’octroi de licences d’exportation très strict et relativement transparent et via des systèmes internes de vérification du client. L’investisseur ESG encourage fortement la transparence dans ce secteur ainsi que ces efforts.
Des efforts règlementaires significatifs ont aussi été faits en matière de lutte contre la corruption historiquement assez présente dans le secteur.
En tant qu’investisseur responsable, notre rôle consiste non seulement à veiller à ce que ces entreprises soient robustes (via une bonne gouvernance et des pratiques saines et durables en matière social) mais aussi qu’elles aillent dans la bonne direction en matière de transition écologique. Autant de choses rendues possibles par la transparence qu’exige une démarche d’analyse ESG.
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