Pour investisseurs professionnels.
La fin du premier trimestre 2022 a sonné et avec elle l’heure d’un premier point d’étape pour les gérants de portefeuilles. Contre toute attente, rien ne s’est passé comme prévu.
Les perspectives de croissance ont fait place à une crise énergétique née de l’invasion russe en Ukraine. En première ligne, l’Europe pourrait finalement se révéler moins porteuse que les Etats-Unis.
Dans cet entretien, Antony Vallée d’Alken AM, revient sur ce changement soudain d’ambiance géopolitique et son impact sur les marchés obligataires et d’emprunts convertibles.
Nous arrivons à la fin du premier trimestre de cette année 2022 et le moins que l’on puisse dire c’est que tout ne semble pas s’être déroulé comme prévu sur les marchés. Quel est votre point de vue sur la situation actuelle ?
L’invasion de l’Ukraine par la Russie a en effet rebattu les cartes dont nous disposions au début du mois de janvier. Nous attendions 4% de croissance en Europe et nous voici désormais à revoir ces chiffres en forte baisse à cause d’une crise énergétique dont l’impact se révèle plus fort en Europe qu’aux Etats-Unis.
De l’autre côté de l’Atlantique, le scénario central privilégiait et privilégie toujours une remontée rapide des taux d’intérêt et la fin du quantitaive easing. Autrement dit, rien de très favorable pour les marchés d’actions et en particulier pour les titres de technologie américains auxquels certaines obligations convertibles sont rattachées.
Après la pandémie de covid-19, l’épisode ukrainien constitue un second choc d’offre important pour l’économie mondiale et partant les marchés financiers. Ajoutez à cela le fait qu’il est difficile d’avoir une vision claire de toutes les implications à venir engendrées par ce choc d’offre et cela vous donnera une bonne idée de ce qui se passe aujourd’hui dans la tête d’un certain nombre d’investisseurs.
Quelles décisions avez-vous donc prises au sein de votre portefeuille pour vous adapter au mieux à ce changement de donne ?
Dès le dernier trimestre 2021, anticipant le resserrement de la politique monétaire américaine, nous avons fortement réduit notre exposition aux emprunts les plus sensibles au mouvement de hausse des taux d’intérêt parmi lesquels figurent notamment les titres du secteur de la technologie. D’une façon plus générale, la transition d’une phase monétaire très accomodante à une phase normalisée nous a conduit à réduire les risques sur l’ensemble de nos portefeuilles. Nous avons fortement augmenté la partie cash, revendu les obligations émises par les petites sociétés cotées et réduit la part de dette haut rendement pour nous concentrer sur les sociétés de bonne qualité (investment grade) de maturité très courte, moins sensibles aux hausses de taux d’intérêt et qui, de fait, sont davantage issues de ce que l’on pourrait appeler « la vieille économie ». C’est par exemple le cas de KPN, Telefonica, Southwest Airlines ou encore de Ford.
Et puis est venue l’invasion de l’Ukraine. Qu’est-ce que cela a changé dans vos choix d’investissement ?
L’écartement des spreads de crédit (l’écart entre le rendement des obligations d’entreprises et celui des emprunts d’Etat) qui a suivi l’invasion russe en Ukraine nous a permis de rajouter du risque dans les portefeuilles. Mais nous restons généralement très prudents sur la partie européenne qui est désormais plus en risque. La remontée soudaine des prix de l’énergie va mettre une pression assez forte sur la BCE qui devrait remonter au plus vite ses taux d’intérêt.
En revanche, après avoir évité le marché de la dette Investment grade aux Etats-Unis en raison de taux d’intérêt beaucoup trop bas, la récente flambée des rendements nous semble être une premier point d’entrée intéressant sur les maturités de 2 à 3 ans et nous sommes à la recherche de nouvelles opportunités sur ce segment.
Parmi les sociétés que vous citez figurent notamment des titres cycliques et industriels. Cela signifie-t-il que vous restez confiant pour l’avenir ?
Le choc sur l’énergie va inévitablement peser sur la consommation mais il est encore difficile de savoir jusqu’à quel point. Ce dont nous sommes certains par contre c’est que l’épargne américaine et dans une moindre mesure celle constituée en Europe pendant la pandémie est encore très élevée et qu’elle peut de ce fait être un soutien important pour la consommation et l’économie.
Du côté des industriels, la crise énergétique n’a pas encore fait sentir tous ses effets. Pour avoir une véritable vision de son impact sur les coûts de production, il va nous falloir patienter encore 6 à 8 mois. D’ici là, les industries et en particulier l’automobile restent bien orientées grâce notamment à une relative pénurie d’offre. Dans cette perspective, nous restons confiants sur les États-Unis qui nous paraissent mieux préparés pour affronter les défis à venir.
Dans un contexte où il n’y a quasiment pas d’émissions de convertibles, quelle est aujourd’hui la photographie de votre portefeuille ?
Nous conservons une sensibilité mesurée aux actions (45%). Seulement plutôt que de raisonner en termes de profil de titres, et de privilégier les profils le plus asymétriques, c’est aujourd’hui la qualité des sous-jacents qui prédomine. Pour passer au mieux cette période complexe, nous préférons les compagnies qui sont capables de résister, voire même de bénéficier de la poussée inflationniste actuelle, qui ont des bilans sains et surtout dont les valorisations souffriront peu d’une remontée des taux plus agressive qu’attendu. Au contraire nous évitons méticuleusement certaines obligations émises en 2021 qui combinent pour beaucoup un couple prime/rendement peu attractif. En conclusion, il est toujours d’actualité et encore temps de favoriser les entreprises dites de la « vieille économie ».
Comments